mercredi 11 novembre 2009

Faire tomber les murs

Il y a parfois des moments dans la vie où l'énergie se retrouve catalysée, attirée, aimantée. Ce sont des instants, des parenthèses qui densifient l'expérience en la faisant tourbillonner dans les profondeurs, avant de se déposer doucement dans la mémoire.

Il y a quelques semaines, j'ai eu la chance de vivre une telle expérience, hors du temps, qui a eu cet effet de condensation, comme si j'avais eu droit à un boost de vie, d'âme, de joie et de paix. Ce fut un moment d'une grand qualité, toute une journée à penser ensemble, à être ensemble, simplement, hors des murs étroits de nos prisons mentales.

Nous avions lancé l'appel. Un appel à incarner une idée simple, puissante, mais encore largement inusitée, dans nos sociétés calcifiées. Il s'agissait de se rassembler et de réfléchir en petits groupes à des sujets que nous choisissions et que nous traitions sans entrave, pour ensuite les partager tous ensemble.

On pourrait avoir tout dit en expliquant la chose comme cela. Ce faisant, par contre, nous aurions omis l'essentiel : aborder la qualité de ce qui se produit quand l'intelligence devient effectivement collective. Il arrive en effet très vite un moment où le bien-être s'installe. Où les défenses implicites se dissolvent, par inutilité. Il y a aussi des moments où l'on se dit que ça n'est pas possible. Que ça ne peut pas tenir qu'à ça. Qu'il doit bien y avoir une arnaque quelque part, qu'il est impossible que cette bulle foisonnante se crée uniquement grâce à ça.

Et pourtant. C'est bien de ça qu'il s'agit. De l'apparente insoutenable légèreté de la force du collectif, quand il décide, ou plutôt quand nous décidons de faire porter nos énergies personnelles vers le bien commun, vers un projet partagé, sans l'encombrer des entraves habituelles de nos petites voix intérieures, celle de la peur, du cynisme, de la honte, du mépris, etc. qui sont autant de tentatives d'obstruction mentale pour résister à l'ouverture.

L'incrédulité et la peur sont en effet des maîtres très exigeants, surtout quand l'expérience partagée déstabilise, faisant fondre à vue d'œil la glace de nos certitudes. Certains tenteront de se raccrocher à des arguments du genre ça ne se fera jamais dans les entreprises. D'autres cherchent à vérifier l'efficacité du processus en demandant ce que ça donne. D'autres encore diront du haut de leur belvédère que ça ne peut pas marcher, car ça bousculerait toutes les façons de faire.

Ce sont des préoccupations bien légitimes et il faut les écouter car l'intégration de pratiques différentes a effectivement des impacts importants au sein des organisations. Par contre, ce ne sont pas les seuls paramètres à questionner. Il faut souvent refaire l'exercice qui consiste à rappeler que c'est parce que nous croyons que nous sommes isolés que nous le sommes. Que c'est parce que nous occultons nous-mêmes l'humain dans nos organisations que nous acceptons sans broncher des normes et des règles qui en confirment la non-existence.

Cette dissociation entre nos aspirations humanistes et les normes desséchantes auxquelles nous nous soumettons a de lourds impacts. Elle nous rend malheureux, isolés et en perpétuel manque de relations authentiques. La perte de sens qui en résulte fait de nous des êtres qui renoncent, qui se taisent et qui démissionnent, devant la lourdeur de la tâche à accomplir pour renverser la vapeur de la déshumanisation, qui profite de manière magistrale aux metteurs en scène du grand spectacle néo-libéral.

Et si la qualité de l'expérience vécue ensemble était une fin en soi ? Retrouver la joie d'être ensemble, simplement. S'inviter les uns les autres et partager, mettre en commun, vivre un bon moment à redécouvrir l'autre, dans tout son être.

Et si l'intelligence collective était cette socialité du fond des âges que nous retrouvions, une conversation à la fois ?

En fait, ce beau moment d'intelligence collective que nous avons vécu à la fin octobre avait ces qualités. Être ensemble, raconter, se raconter, apprendre, prendre le temps, rire, être surpris, partager et découvrir, sans autre intention que celle de vivre collectivement un moment heureux, foisonnant et inspirant, avec des gens qui apportaient avec eux ce même état d'esprit.

Que l'on réagisse à l'existence de telles pratiques en affirmant que c'est impossible montre la gravité de l'endoctrinement qui nous a poussé peu à peu à oublier l'essentiel de ce qui fait de nous des humains. Que l'on en cherche à tous prix l'efficacité révèle à quel point tout ce que nous faisons est jugé -par nous et par les autres- sur la base d'une définition de l'utilité uniquement centrée sur la recherche de l'augmentation de la productivité, à travers chacun de nos gestes. Que l'on s'en moque, activant là le levier du cynisme, montre la profondeur de l'angoisse qui nous habite, car si une telle chose était effectivement possible, c'est toute une logique de vie qui basculerait d'un coup...

La rationalité instrumentale des organisations se fissurerait, bousculant ainsi l'ordre établi qui réduit, tant que faire se peut, par ses diktats managériaux, l'existence d'espaces de parole libres au sein des entreprises et des organismes publics. C'est la culture du vivre ensemble qui s'en trouverait modifiée, soudain mue et propulsée par ce qui fait vibrer, ce qui donne du sens, ce qui anime vraiment.

Évidemment, la chose en question - l'intelligence collective- étant effectivement possible, il est naturel que de larges pans de murs de certitudes personnelles soient en train de tomber, une expérience à la fois, pour les participants. Dès lors, ils commencent à repérer les brèches et les interstices dans lesquels ils peuvent s'engouffrer pour insuffler un supplément d'âme aux collectifs auxquels ils contribuent.

Ce que nous avons vécu, à la fin octobre 2009, a fait tomber des pans de mur, comme les pans berlinois, retombés cette semaine, pour montrer que les murs sont tenaces, rigides et lourds à vivre mais que l'énergie du collectif les soulèvent, les fragmente, les fait basculer, dès que l'espoir renaît.

Il faut donc parfois croire pour réussir à voir, plutôt que de voir pour tenter de croire. Autrement dit, c'est l'expérience qui transforme, pas le discours. Be the change you want to see in the world, disait Gandhi, n'attendez pas que le changement vous convainque, il ne le fera pas. Et même si vous en entendez parler, vous n'y croirez pas. Incarnez-le plutôt, c'est l'art de l'apprentissage dans l'action. De nos aspirations à nos actes, c'est une invitation à la cohérence.

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