mardi 22 décembre 2009

Cadeau de Noël

Parfois, à force, on ne sait plus où donner de la tête. On ne sait plus où donner du cœur. On ne sait plus grand chose, en fait. Alors quand le maelström est trop intense, il est utile de pouvoir s'installer tout au cœur de soi, pour laisser le vide nous occuper un peu, le temps d'une brise subtile et silencieuse. Alors la barque intérieure s'ébranle et ose passer la barre.

Cette exploration, ce flottement de l'âme, est un moment de découverte toujours étonnant, même si les méandres intérieurs conservent au fil du temps les mêmes courbes, les mêmes remous, les mêmes courants de fond qui apportent la même houle et les mêmes nausées. Simplement, on ne vit plus l'expérience comme la dernière fois. À force, le voyage apaise.

Parfois, quand on sait l'écouter, notre voyage intime nous est même raconté par d'autres et c'est alors une véritable surprise d'entendre ce que nous n'avions jamais osé raconter, par pudeur, par timidité et par l'expérience tant de fois vécue de l'indifférence.

Dernièrement, un ami que je sais être aussi discret et timide que moi m'a en effet raconté des bribes de l'histoire de ses parents et j'ai vu, dans les interstices de son récit, apparaître les miens.

Nos parents se sont peut-être croisés, pendant la seconde guerre mondiale, alors que son père soldat ravitaillait le mess des officiers canadiens d'Anvers et que le père de ma mère s'enrichissait au marché noir. Sa mère à lui avait quitté les Pays-Bas pour la Belgique. Mon père à moi avait été arrêté par la milice rexiste et envoyé dans les camps de travail en Allemagne, pendant plus de deux ans. Les quatre ont survécu. Se sont-ils croisés sans se voir, à Bruxelles ou à Bruges ?

À la fin de la guerre, ils ont tous traversé l'Atlantique et l'histoire s'est poursuivie en Amérique, avec nous qui allions arriver. Mon ami et moi avons tous les deux été bercés par les récits de la guerre, par des vies aux rêves brisés puis reconstruits, par le déracinement, les dérives et le temporaire comme certitude, encombré de valises et d'avions, des "ici" et des "là-bas", des allers-retours au dessus de l'Atlantique jamais tout à fait franchi, ni dans un sens ni dans l'autre. De simples récits d'immigration...

Comme mon ami discret, j'ai le souvenir de ma mère qui faisait ses vraies courses chez le pâtissier alors que tout le monde allait chez Steinberg. Dans les années soixante, il était le seul à des kilomètres à la ronde à savoir faire la baguette, à offrir des pâtés de foie, des fromages français et suisses. Il savait faire les petits fours des grandes occasions, le kramiek du matin, bref, tout ce qui ne se trouvait pas encore dans les épiceries du Québec. Sans parler du café.

J'ai le souvenir d'avoir grandi un peu à côté. Décalée par rapport aux traditions d'ici, aux évidences de la famille et aux certitudes en général. J'ai le souvenir d'avoir été l'Autre, celle qui n'a aucun souvenir de dinde de Noël, d'atocas ou de set carré.

C'est cette Autre, assise au centre du maelström, qui redécouvre sa propre histoire, par l'ami qui lui a offert le cadeau de raconter le sienne, par un bel après-midi de décembre. Et par ces histoires qu'elle a enchevêtrées, le temps d'une brise subtile et silencieuse, elle se relie.

À force, le voyage apaise.

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