mercredi 26 août 2009

Le baume de la vacuité


Il y avait environ 24 mois que le cerveau turbinait sans relâche. Alors, sans surprise, avec toute l'inertie qu'on connaît aux gros paquebots, quand il s'est agit de stopper les machines, une fois les pieds dans la sable, ce ne fut pas de tout repos. Quel est ce délire, me direz-vous ? Quand on prend des vacances, on s'en réjouit, point. Pas la peine d'en rajouter. Les autres aussi ont droit à un peu de silence, après tout.

Vous n'y êtes pas du tout. En fait, j'ai vécu une expérience fascinante : celle du cerveau qui a oublié la manœuvre de freinage, qui ne retrouve plus la mise au neutre. Un cerveau qui est tellement encombré par le rythme infernal de la pensée -n'importe laquelle, d'ailleurs, ici pas de discrimination ni de contrôle qualité- qu'il roule en continu, générant ses propres tics. Ce cerveau-là devient un cerveau lent, qui s'ignore. Une part de vivant qui met à risque tout le reste, cet autre qui ne cherche que l'immobilité, le silence et le vide du repos.

Fascinante expérience car j'ai pu l'observer tenter de se mettre à off sur mes ordres. Les circonstances étaient favorables : il s'agissait de lâcher prise et non de performer. Aussi cool qu'il puisse paraître, le projet fut pourtant bien fastidieux à réaliser. Ça lui aura bien pris trois semaines, à ce cerveau en cavale, pour se calmer un peu. Trois semaines d'entraînement au vide. Au rien. Au fait de se guérir en stoppant toute activité intentionnelle autre que la base du minimum : manger, dormir et se reposer.

Quelle découverte et quel constat décapant : il aura fallu s'entraîner pendant trois semaines pour arriver à rester simplement assis dans le sable à regarder le ciel sans intention, sans agacement et sans nervosité soudaine. Mon cheval sauvage intérieur repartait au grand galop chaque fois que j'avais oublié de ne penser à rien. Chaque fois que je glissais de nouveau dans le machinal, l'automatisme, la non conscience et la non présence. Quel labeur que de retrouver un état à peu près contemplatif !

Quand ce vide très riche a finalement réussi à occuper l'espace très appauvri de ce cerveau encombré par deux ans de pression, une sorte de plénitude très douce et sereine a fini par poindre, pendant des instants de plus en plus longs. Souvent, il ne se passait rien. Et puis parfois, mon esprit s'arrêtait un instant sur un bleu profond, très haut au dessus de la dune, ou encore j'entendais avec ravissement le son soyeux du sable sous les pieds. Quelle paix. Quand on arrive là, il reste peu de mots pour expliquer les choses. D'ailleurs, c'est l'envie elle-même d'expliquer qui n'existe presque plus.

Cet exercice salutaire mené quotidiennement a simplement permis de faire de l'espace, de faire un ménage intérieur pour redonner à la pensée la possibilité de se déployer de nouveau. Il a été curatif, tel un baume sur une plaie à vif.

J'ai pensé souvent, pendant cette parenthèse quasi médicinale, aux sournoises infiltrations du stress et à ce qu'elles provoquent chez les humains qui ne réussissent plus à s'arrêter. Quand ils ne savent plus stopper la machine, c'est l'impasse. Une impasse mortelle, parfois. Qu'importe alors la prochaine promotion, l'augmentation de salaire, les résultats et les défis de performance. Le fait qu'ils puissent devenir omniprésents, qu'ils passent aux commandes de nos vies, devenant des déclencheurs de mort, devrait nous ramener à l'essentiel.

Pour le retrouver, il faut donc parfois s'arrêter. Faire en sorte que la pensée laisse place à ce vide si riche, cette vacuité, creuset de nos inspirations, source d'idées et d'émotions, source de plaisir et de vie.

Bien que trente rayons convergent au moyeu
C'est son vide médian qui fait avancer le char.
Les vases sont faits d'argile,
mais c'est du vide interne que dépend leur usage.
Une maison est percée de portes et de fenêtres,
mais c'est le vide encore qui permet l'habitat.
Ainsi, l'être a des aptitudes que le non-être emploie.

Lao Tseu



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