Il y a quelques temps, en Finlande, je me suis trouvée chez moi. Dans une nature familière, retrouvant avec joie les flocons kamikaze du début de l'hiver. J'ai retrouvé les hésitations de la marche sur la glace, cette pellicule sournoisement cachée sous la neige des trottoirs. J'avais parcouru 7500 km pour me retrouver chez moi. Et puis, après un petit moment, les nuances ont tout de même réussi à remonter à la surface de la conscience, éclairant mon enthousiasme.
Je m'accrochais au suédois des panneaux indicateurs, des affiches et des menus pour tenter de saisir les bribes de sens que le finnois me refusait. Je vivais une situation paradoxale, où mon corps, dans son rapport à la nature, était presque chez lui, alors que culturellement, je flottais dans un univers entièrement inaccessible, quand la 2e langue du pays, le suédois, n'était pas au rendez-vous.
Allant d'une nuance à l'autre, tout en marchant dans Helsinki, j'ai peu à peu commencé à ressentir la Russie toute proche. Dans l'architecture, sur les plaques minéralogiques, dans la rue, au détour des conversations.
Déambulant vers le sud, je me suis retrouvée pour le kahvi & pulla, le café & brioche, au crépuscule, vers 15h30, au bord de la Baltique. À 16h00, l'heure bleue avait laissé place à une noirceur boréale, en plein kaamos, cette période difficile de la descente vers la noirceur de l'hiver, vers les jours les plus courts, quand l'obscurité s'insinue dans tous les interstices de l'âme. Jusqu'au retour progressif de la lumière, bien longtemps après.
Entre nature et culture, j'ai vécu ces quelques jours dans la douceur de la familiarité de l'hiver et dans la curiosité de la découverte, entourée d'amis qui savent contrer kaamos. L'un d'entre eux est Lasse Kantola, metteur en scène et professeur de théâtre, qui un jour avait invité ses étudiants à nous raconter des bribes de contes et de poésie finlandaise chaque fois que la lumière gagnait sur la nuit. Une bougie à la fois. Une rencontre à la fois. Un silence à la fois. Un regard, un sourire, une prière, une inspiration... Cette lumière-là ne vient ni des réverbères ni des spots de scène. Elle est intérieure.
Un autre soir, à l'invitation de Lasse, je me suis retrouvée dans le studio de répétition, où les étudiants de la troupe enchainaient les scènes de la prochaine pièce, écrite et montée par eux.
On m'a alors raconté leur histoire, celle des enfances brisées, des accidents de la vie, des perturbations du cœur, des abandons et des violences. qu'ils transcendaient par la création théâtrale. Il m'a semblé que la communauté à laquelle ils avaient choisi de donner vie incarnait cette lumière humaine si précieuse et si rare, de celles dont on ne parle pas et qui pourtant transcendent kaamos du fond de l'âme.
Depuis, je suis rentrée chez moi et je suis attentive aux interstices, aux failles, aux brèches, aux espaces vides, au silence à travers lesquels peut passer cette lumière subtile.
Kiitos, cher Lasse, harras kiitos, pour cette belle rencontre.