mercredi 24 juin 2009

Si on s'y mettait...


Je ne sais pas si vous êtes comme moi mais il m'arrive souvent de me passer des commentaires appréciatifs -que j'ai la plupart du temps la bonne idée de garder pour moi- concernant ce que j'aurais fait autrement, si j'avais été à leur place. À la place de ceux qui étaient en charge.

Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point c'est agaçant d'être aux prises avec ces commentaires critiques qui surgissent dans votre tête à tout moment, dans toutes sortes de situations de communication. Mais je spécule sans savoir. Peut-être avez-vous aussi développé au fil du temps ce regard critique sur notre société, ce désir inabouti de voir des petits détails du quotidien prendre une autre forme, changer de cadre, se présenter autrement. En fait, même si le mot changement est devenu une véritable tarte la crème (drôle d'expression, tout de même) qu'on a presque honte de convoquer dans le discours ces temps-ci, il faut tout de même reconnaître qu'il y a pas mal de petites choses que j'aurais changées, si j'avais été en charge au moment où c'était possible.

J'aurais raccourci un spectacle, permuté l'ordre de présentation de deux conférenciers, offert plus de temps à l'un, suggéré à l'autre de montrer ses fameuses images plutôt que d'en parler. J'aurais vérifié la cohérence entre les images et le commentaire du journaliste dans son reportage raté du téléjournal, j'aurais assis un journaliste en studio pour faire l'analyse d'une situation plutôt que de nous défiler une ribambelle de faits sans les expliquer...

Dans d'autres cas, c'est tout aussi agaçant et encore plus fondamental. En contexte de conseil et d'intervention, j'aurais évoqué avec le client l'importance de faire participer ses employés aux prises de décision et j'aurais pris le temps de lui expliquer que l'adhésion et la confiance bourgeonnent peu à peu, comme reflet approximatif de sa propre ouverture et de sa propre confiance.

À l'université, dans un cours ou dans un séminaire, j'aurais interpellé le groupe plutôt que de lui imposer un long exposé, je lui aurais donné la possibilité de déterminer les questions et les enjeux plutôt que lui assener un discours d'expert déconnecté de la réalité des jeunes de vingt ans.

Dans l'univers de la diffusion de la recherche académique, je me serais opposée à la dictature des 15 minutes de présentations imposées dans la plupart des colloques des grandes conférences scientifiques internationales.

Bref, j'aurais fait beaucoup de choses si j'avais pu, au moment où ça se décidait, mais je ne faisais pas partie de ceux qui concevaient ces événements, ces initiatives et ces activités. Je n'y avais pas été invitée.

Toutes ces initiatives dont je me plains, en ayant tout de même l'impression de ne pas être la seule, sont le fruit d'un travail noble, complexe et la plupart du temps invisible : le design. Ce travail créatif, qui consiste à passer du chaos des possibles à un ordre souple qui guide l'action, s'incarne de diverses manières d'un domaine à l'autre. On le connaît bien dans le monde de l'art, à travers le design de mode, le graphisme, le design environnemental, le design événementiel, la conception automobile, etc.

On le saisit déjà moins quand il est question de design pédagogique, véritable colonne vertébrale de toute situation d'apprentissage. Souvent déprécié, on l'assimile à du travail de "préparation de cours" et, ce faisant, il disparaît derrière les compétences de contenu -celles qui comptent vraiment- des professeurs et des formateurs.

Encore plus fugace, vu de l'extérieur, est ce qui ne se nomme même plus design : le travail du conseiller ou du consultant, qui se balade avec sa boite à outils virtuelle et son expérience. En quoi croyez-vous que consiste son travail ? À saisir les enjeux d'une situation, à fouiller dans sa boite à outils et dans son propre parcours pour concevoir une approche, une démarche, un processus ou une méthode pour aborder la situation et pour l'accompagner. Sur la base de ce design, il intervient, réalise un mandat, participe à faire émerger des solutions et contribue parfois à changer des choses mal aimées des gestionnaires car intangibles et fugaces : les comportements des personnes, le climat organisationnel, l'adhésion, la capacité d'innovation, la culture... Ça peut sembler étrange, si on n'y a jamais réfléchi sous cet angle, mais de telles interventions résultent toutes d'un design.

De nos jours, il est devenu naturel de participer. Nous voulons tous êtes partie prenante aux décisions -sans toujours accepter d'en assumer la responsabilité, reconnaisson-le-. Nous exigeons plus d'autonomie, une plus grande collaboration, de la flexibilité. On veut que ça bouge et que ça change. Yes, we can, nous a-t-on dit, récemment et, d'un coup, l'espoir a rejailli pendant quelques temps.

Nous avons d'ailleurs toute la technologie requise pour concrétiser le tout. Les boites à outils sont pleines, de la plus concrète à la plus immatérielle, elles accompagnent l'ingénieur, le consultant en gestion, l'intervenant social, le communicateur, chacun avec ce qui lui est essentiel dans l'action. Les réseaux sociaux et les lieux de co-création à distance, de Facebook à Twitter en passant par les wikis, sont autant d'exemples de l'art de la conversation à distance, de l'opportunité que nous nous donnons de penser ensemble. De l'instrumentation hard à la technologie sociale soft.

Certes, la technologie existe, mais nos façons de faire, elles, n'ont pas nécessairement beaucoup évolué. L'expression Don't pave the cowpath est un conseil que nous devrions tenter de ne pas oublier. Est-ce que le design de ce que nous imaginons est devenu plus collaboratif ? Mobilisons-nous l'intelligence collective dont nous disposons ? Réponse mitigée. Il est possible de concevoir ensemble mais nous préférons tout de même continuer à penser chacun pour soi. Pourquoi ? Par crainte de perdre le contrôle sur nos idées, par peur d'être remis en question par d'autres, par intérêt personnel, par protectionnisme et par corporatisme, avouons-le.

Évidemment, de tels choix ont des avantages. Il est moins compliqué de décider tout seul que de le faire collectivement, tous les dictateurs de ce monde vous le diront. Il est plus profitable pour un auteur d'exercer son plein droit de propriété et d'en récolter les maigres deniers que de penser et d'agir en mode Open Source. Néanmoins, il existe également des effets moins heureux.

Un employé m'a un jour raconté qu'il trouvait assez désagréable d'apprendre par les journaux les décisions prises par ses patrons. De tels gestes le démotivait, il ne se sentait pas du tout considéré, pas suffisamment utile -ni reconnu- pour qu'on ait même pensé à le consulter. Des exemples de la sorte, il en existe des milliers dans les organisations. Question de choix de gestion, basés sur des croyances profondes dont les sources sont enseignées dans les Écoles de commerce aux futurs MBAs de ce monde : les dirigeants décident, les employés exécutent...

Évidemment, quand on travaille à partir de telles croyances, on n'aura pas tendance à favoriser la participation. PODC (planifier, organiser, diriger, contrôler) qu'ils disent encore pour définir ce qu'est la gestion. C'est à croire que tous ces gestionnaires avaient séché le cours, le jour où on leur enseignait l'organisation apprenante, en trois heures, avant de revenir à des question plus importantes, comme la productivité. Si on leur avait dit que l'augmentation de la productivité est en partie basée sur la capacité des personnes à innover, ce qui repose entre autres sur la créativité, l'échange d'idées et la mise au défi des évidences, ils auraient peut-être saisi qu'il est plus efficace de penser à plusieurs plutôt que tout seul.

Dans les années 70, Jean-Pierre Ferland avait composé une chanson douce intitulée : "Si on s'y mettait...". Elle va bien avec aujourd'hui.

Au fait, un atelier de réflexion qui porte sur tout ceci est en cours de design. Il se tiendra à la fin octobre 2009 à Montréal. Si vous souhaitez y participer, vous êtes les bienvenus, il suffit de vous rendre ici : Presencing.

Bonne Saint-Jean.

vendredi 19 juin 2009

Métissage interdisciplinaire ou pourquoi suis-je à l'étroit quand je viens chez vous ?


Respirer à l'intérieur des murs d'une discipline est pour moi synonyme d'étouffement. D'où mon aisance à habiter en communication. C'est vaste, c'est venteux, il y a de l'espace, il y a même -et tant mieux- le risque de se perdre... C'est aussi là, dans ces espaces où l'on part en errance, que l'on fait de belles rencontres. J'en avais déjà abondamment traité en 2005, dans une ethnographie des pratiques du Cirque du Soleil et dans Les coulisses de l'innovation qui a été publié par la suite.

Après avoir fait la rencontre de Guillet de Monthoux et d'Antonio Strati à l'époque, une des belles découvertes que j'ai faites ces derniers jours est l'activité du groupe de recherche et d'intervention italien Trivioquadrivio. En rapprochant très concrètement l'art et les affaires, pas uniquement par le mécénat mais surtout par la fusion, le croisement des compétences et des regards et par le recours à ce qui est créatif dans ce qui est organisationnel, il y a création d'un métissage disciplinaire foisonnant.

À ce sujet, justement, où en sommes-nous de ce côté-ci de l'Atlantique, en francophonie ? Je cherche, je cherche, mais, pour le coup, je ne trouve pas... Quelles formes les façons de faire créatives, parfois artistiques, associées à la transformation des organisations prennent-elles de ce côté-ci de la grande mare ?

Théâtre en miroir (un groupe d'acteurs vient jouer les conflits d'une organisation, les employés regardent la performance et en discutent) ; apprendre à parler cheval pour faire du team building ; trouver son personnage à partir de l'univers de Tintin et faire un jeu de rôle pour découvrir son profil de gestionnaire ou d'employé... C'est créatif peut-être, mais ça l'est toujours à partir de l'univers de quelqu'un d'autre et ça nous est imposé.

Pourquoi ne pas franchir cette barrière normative de l'expression ? Qu'est-ce qui fait si peur ? Pourquoi les dirigeants font-ils tout ce qu'ils peuvent pour conserver très vivant ce tabou de l'expression ? On le sait, en fait. Plusieurs étudiants de maîtrise en communication de l'Uqam pourraient vous le dire. Tout le monde le sait.

En fait, ce serait comme appuyer sur le bouton Reset. Tout à coup, on traverse le miroir et on peut exprimer ce que l'on ressent. Vraiment. Imaginez les dégâts -pour les uns- et les libérations -pour les autres-. Ensuite, il faudrait tout revoir. Quelle énergie !

Nous aurions subitement changé de spectacle, de représentation. Les acteurs, la mise en scène, les décors, les dialogues, tout serait absolument différent. Subversif ? Et alors ! Ne faut-il pas d'abord savoir bien jouer sa propre pièce avant de tenter de jouer celle des autres avec inspiration ? Honnêtement.

Quand on prend le temps d'écouter ce qui se dit dans les moments creux, quand la garde du posturing est baissée, quand on se croit en sécurité, à l'abris des dirigeants, gardiens des tabous, tout à coup la parole redevient libre. Libre et en quête de sens, avide d'un peu plus d'authenticité, de joie et de paix. Juste un peu plus. Ce serait déjà bien.

Omar Aktouf avait déjà écrit en 1996 qu'il était temps d'appuyer sur Reset et de passer à l'humanisme extrême. De refonder le tout. Colossal, comme projet de société. L'avons-nous commencé ?

Non. Et c'est peut-être pour ça qu'on étouffe un peu.

Photo du 3e Œil, extraite d'une intervention faite au printemps 2009 auprès d'un groupe de cadres. Sur la feuille, la question posée était : "Professionnellement, qu'est-ce qui vous éteint ?"

Bienvenue !

D'abord, une petite charade d'accueil : mon premier détecte, cerne et repère, mon second ajoute la profondeur, mon troisième ressent et dévoile et mon quatrième analyse... Qui sommes-nous ?

Nous sommes de multiples regards posés sur le monde... Plus concrètement, vous entrez dans le carnet du 4e Œil, le journal de bord de mes recherches.

Maintenant, vous êtes sur le seuil. Les lieux sont vides et attendent patiemment d'être habités. J'entre et je m'installe. Évidemment, je vous invite à faire de même. Entrez, entrez. Vous voyez une sorte de chantier qui démarre. Grand escabeau, bâche par terre, pots de peinture, des outils, et du blanc. Les murs sont blancs. En fait, imaginez la recherche comme ce chantier. En travaux. En perpétuels travaux, d'un projet à l'autre.

C'est le début des travaux de l'été 2009 de la recherche que je mène depuis plus de 4 ans. Elle s'est un jour nommée naturellement, presque toute seule,
"Le 4e Œil", sans que j'aie vraiment à intervenir. Enfin pas de manière volontariste. Englobant le 3e Œil, le 4e Œil constitue un univers -une épistémologie- qui a pris forme, et qui se déploie peu à peu, autour et à partir des réflexions et travaux de terrain menés en animation, en design collaboratif, en accompagnement du changement...

Les travaux qui s'amorcent et se dérouleront pendant les prochains mois vont permettre une mise à jour conceptuelle, de l'analyse de données, des synthèses et bilans d'expérience à colliger... Tout ceci avec la collaboration de Caroline. Un événement de partage de connaissances est également prévu, en octobre prochain, et des publications suivront.

Peu à peu, à partir d'ici, vous pourrez suivre les activités en cours. Entre temps, vous pouvez aussi me retrouver ici :

Pour suivre les inspirations quotidiennes du 4e Œil sur Facebook

Le site web du 4e Œil et de son auteure

Il y a quelques temps, j'avais lu
en page de garde de Iotékha, de Robert Lalonde : "C'est ensemble que l'auteur et le lecteur doivent se frotter les yeux". C'est ce que je nous souhaite.
À bientôt.